La Confédération fait face à des responsabilités et des exigences particulières en matière de langue:
La Confédération et la langue
- par souci démocratique, elle est tenue de s'adresser à la population dans une langue aisément compréhensible; la clarté du message s'impose comme tout premier principe dans les échanges avec ses partenaires
- politiquement elle est tenue de respecter et de faire respecter les langues officielles; les textes officiels émanant de l'administration véhiculent certes un message, mais en même temps ils illustrent, et du même coup servent, la diversité linguistique du pays
- en tant qu'agent de communication de premier plan elle se doit de participer à la réflexion collective sur la langue
Les anglicismes
Il est banal d'évoquer le rythme effréné des innovations et découvertes dans les sciences, les techniques, le droit, le commerce, l'économie, l'informatique, les télécommunications, les loisirs, etc. Il est peut-être un peu moins banal, et un peu plus délicat, de parler de l'anglicisation des terminologies qui accompagne cette évolution.
Les emprunts à la langue anglaise, ou anglicismes, sont en effet massivement présents dans les langues de spécialité, signe révélateur de la prédominance américaine dans les sciences, les techniques et un grand nombre d'autres secteurs d'activité. Multiples et variées, plus ou moins convaincantes, plus ou moins avouables sont les raisons qui rendent les anglicismes si attrayants: impératifs de communication et nécessités commerciales à l'échelle de la planète, difficulté à imaginer une autre dénomination, solution de facilité, séduction d'un mot tout beau tout neuf pour une chose par ailleurs déjà bien connue, aspect nouveau souligné par une nouvelle dénomination (diversification sémantique), prestige de pouvoir manipuler des formes hermétiques à la plupart, peur de ne pas être "branché", de passer pour puriste ou rétrograde en manifestant quelque préoccupation envers les anglicismes, etc.
Leurs inconvénients
La prolifération des anglicismes dans de très nombreux domaines de spécialité, en particulier les secteurs de pointe censés conditionner notre avenir, ainsi que la forte pression, facilement observable, en faveur d'une langue unique de communication, sont contraires à la diversité linguistique et suscitent des réactions, voire des inquiétudes.
En effet, à bien y regarder et au-delà des plus ou moins bonnes raisons évoquées ci-dessus, les inconvénients liés aux anglicismes sont aussi bien réels:
- chacun les comprend à sa façon, parfois mal
- beaucoup se sentent insécurisés ou marginalisés par ces formes non familières
- un certain nombre d'anglicismes sont en fait de pseudo-anglicismes, n'ayant jamais existé tels quels en anglais ou avec un sens différent
- il se crée un jargon " Swiss English "
- les anglicismes, par leur nombre, appauvrissent, voire stérilisent les langues de spécialités emprunteuses
- relevant d'une autre logique linguistique, puisant à d'autres sources, les anglicismes entravent ou empêchent le libre jeu de la langue emprunteuse
- ils peuvent aussi déstabiliser des termes usuels, voire les supplanter (ex.: salle des marchés/front office suivi de marché/middle office, survaleur/goodwill, arbitre/referee)
Quelques précautions
Là où les anglicismes prolifèrent librement, surtout lorsqu'il s'agit comme ici de la communication d'un État avec ses citoyens et du respect des langues officielles, on peut affirmer sans risque de se tromper que c'est au détriment de la clarté du message et de la langue. Dans ce contexte les anglicismes nuisent plus à la communication qu' ils ne la servent, et ils entravent l'action de l'État dans l'exercice de ses responsabilités envers les langues officielles.
De façon générale les textes officiels émanant de l'administration (messages, rapports, communiqués et a fortiori les actes législatifs et réglementaires) doivent avoir une certaine tenue, tant stylistique que lexicale. Les règles de rédaction pour ces textes sont claires et cohérentes et doivent aussi l'être en ce qui a trait aux anglicismes. A défaut de pouvoir redresser certaines situations, ceci permettra à l'administration d'éviter de répéter certaines erreurs, comme:
- de désigner certaines de ses unités par un nom exclusivement étranger (ex.: swissmint) au lieu de les nommer dans chacune des langues officielles
- de désigner certaines de ses activités par des termes étrangers (e-government, e-voting) ou par des emprunts injustifiés d'une langue officielle à l'autre (ex.: guichet virtuel en allemand)
- d'utiliser pour ses campagnes d'information des slogans en langue étrangère (Feel your power), au lieu d'en créer un pour chacune des langues officielles
- etc.
Esquisses de solutions
Que faire lorsqu'au moment de rédiger un texte, on rencontre un terme anglais ?
Tout d'abord faire la part du franglais en se demandant si l'anglicisme en question ne fait pas double emploi avec une forme existante: en d'autres mots si l'emprunt est nécessaire. En consultant à ce stade le site de la Chancellerie fédérale consacré aux anglicismes on saura, peut-être, si la question s'est déjà posée ailleurs, et comment elle a été résolue, en particulier dans les autres pays germanophones, francophones ou italophones.
Une telle liste ne sera toutefois jamais exhaustive, et il peut être judicieux de consulter également quelques dictionnaires spécialisés dont un choix est proposé ci-après:
Lorsque l'on repère plusieurs équivalents pour le même terme: bien cadrer le sujet, ce qui permettra souvent un premier tri, puis donner la préférence à celui:
- qui se révèle sémantiquement le plus explicite
- pour lequel on trouve le plus grand nombre d'occurrences, par exemple après un comptage sur Internet au moyen de moteurs de recherche tels Google ou search.ch
Création de mots
Une telle activité est l'apanage des milieux spécialisés et des commissions de terminologie, ces dernières étant plus particulièrement chargées de valider les néologismes.
Si vous souhaitez en savoir plus sur la création de néologismes, vous trouverez quelques précisions dans l'annexe. Il n'est toutefois pas souhaitable que tout un chacun se mette à inventer des mots nouveaux, sauf à vouloir instaurer une anarchie totale.
Ce n'est d'ailleurs pas non plus la vocation du groupe de travail de la Chancellerie fédérale. En revanche, cette dernière est en contact avec des commissions de terminologie et il lui est loisible de les solliciter: elle se tient donc à votre disposition pour vous assister dans vos recherches.
Conclusion
Un choix raisonné d'équivalents permet d'éviter les inconvénients liés à la libre prolifération des anglicismes dans les textes officiels de l'administration fédérale. En particulier, des équivalents bien choisis assurent une communication fluide entre l'État et ses interlocuteurs, une cohérence générale des textes au plan linguistique, et ils préservent pour chacune des langues la possibilité de se développer selon ses propres ressources tout en évitant une subtile discrimination sociale entre "anglo-riches" et " anglo-pauvres ".
Annexe: précisions sur les processus de formation néologique
On distingue trois processus, à savoir l'emprunt, le calque et la création libre:
- l'emprunt est le passage direct d'un mot d'une langue à l'autre
- le calque est l'introduction d'un mot nouveau dans une langue par la traduction
- la création libre est à la base de toute nouveauté lexicale obtenue par extension de sens d'un mot existant, par passage d'un mot d'un domaine de spécialité à un autre (emprunt interne), ou par tout autre processus permettant d'obtenir une "synthèse néologique"
Toutes ces formes nouvelles sont appelées à s'intégrer dans la langue, aussi doivent-elles présenter certaines qualités, entre autres:
- être compatibles avec la langue d'accueil sur les plans morphologique, syntaxique et phonétique pour ainsi bien se prêter à la dérivation, la composition, la formation de séries paradigmatiques
- rester proches parfois de la forme anglaise équivalente (ex.: boomer/boumeur; tweeter/tuiteur)
- être motivées, c.-à-d. se comprendre aisément par la pertinence morphologique et sémantique
- être adéquates (bonne correspondance entre la dénomination et la chose désignée)
- aller dans le sens des tendances générales de la langue
Les chances d'implantation de termes nouveaux, y compris des emprunts, dépendent ainsi de divers facteurs qui, s'ils font défaut, entraînent le rejet des néologismes au profit de formes plus ou moins satisfaisantes.
Emprunts
Les emprunts, pour bien s'acclimater (s'intégrer, être assimilés, naturalisés), doivent offrir les caractéristiques suivantes:
- convergence morphologique, et sémantique (ne pas créer de collision de sens)
- motivation
- ressemblance de forme
- parallélisme de sonorité, proximité phonétique (mail/mél)
et ainsi donner fréquemment lieu à:
- une régulation morphologique, phonétique, graphique, souvent favorisée par des formes proches (finisher/finisseur equalizer/égaliseur, merchandiser/marchandiseur, gazole, bipasse,schnorkel)
- une recherche de la parenté étymologique (ex.: packet/paquet, clearance/clairance, request/requête)
Les procédés d'assimilation des emprunts sont entre autres:
- l'assimilation suffixale (très riche, très productif EN/FR si la base verbale fonctionne: -er/-eur, -or/-eur, ator/-ateur
- l'assimilation suffixale dans les composés avec inversion des éléments et régulation morphologique légère (compact disc/disque compact)
- l'inversion avec adjonction d'un élément de liaison: echo distortion/distortion d'écho; souvent le français apporte une précision sémantique (lidar bathymeter/ bathymètre à lidar)
- voyelle proleptique (spacer/espaceur)
- simplification orthographique ou de la géminée (dribbler/dribleur, chalenge)
- agglutination (subimage)
- accentuation (délétion, réversion, implémenter, incrément, média)
Le degré d'intégration des emprunts est variable, de parfait à nul selon les cas. L'intégration des anglolatinismes est parfaite (ex.: transduction, translocation [biol.]) et correspond à un mode de formation ancien dans les langues européennes sur des étymons latins. Parfaite aussi est l'intégration des emprunts dont la forme, la prononciation et le sens sont très proches (ex.: maintenance); l'intégration sémantique par exemple de "satellite" (domaine des aéroports) est bonne, alors qu'elle est mauvaise pour des emprunts tels que drugstore, manifold, gasoil/gazole, bit, pixel, bipasse, jerricane, nurserie, spoule, scorer, schnorkel,/schnorchel, ou encore divot et drone qui n'ont aucune résonance en français.
Calques
Les calques peuvent être obtenus par:
- une traduction littérale (souris, fenêtre en informatique)
- une traduction partielle (neochannel/néocanal, photomap/photocarte)
- une transposition (pole position/position de tête, program library/programmathèque, criticality/cricité, airbag/sac gonflable, raster image/image matricielle)
Pour créer de "bons" calques, il faut notamment veiller à:
- bien analyser le terme anglais
- opérer une adaptation syntaxique (inversion des éléments: ghost echo/écho fantôme, clean room/salle propre, starting block/bloc de départ)
- se méfier des faux amis (cell library/bibliothèque de cellules)
- tenir compte du cas particulier des sigles, parfois identiques, parfois dans l'ordre inverse
- viser l'alignement sur les autres mots de la langue (ex.: halle d'assemblage)
Les calques intègrent bien la notion désignée, restent proches du terme étranger ce qui souvent facilite l'implantation. En français ils permettent de répondre à un souci de précision par le choix de désignations de type analytique.
Créations libres
Les créations libres peuvent recourir:
- à la suffixation (ex.: mosaïde/semi-controlled mosaic; pastillage/ chip on board; jardinerie/garden-center; maisonnerie/home-center; voyagiste/tour operator; ognonnage/onion peeling method)
- à la préfixation (coentreprise/joint venture; spatiocarte/satellite image)
- à diverses autres transformations (ex.: boîtier fakir/pin grid array; éditique/electronic publishing) ou transferts métaphoriques (efflorescences/bloom; puce/chip; baladeur/walkman)
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